Courrier au Ministre chargé de la Ville et du Logement – Lubrizol – 6 novembre 2019

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A Paris, le 6 novembre 2019

                                                           Monsieur Julien Denormandie,
                                                  Ministre chargé de la Ville et du Logement
                                                           auprès de la Ministre de la Cohésion des territoires et des
                                                 Relations avec les collectivités territoriales.

Nous souhaitons vous faire part de nos vives inquiétudes concernant les graves manquements de l’Etat en matière de mise en œuvre des politiques d’accueil en matière d’habitat des « Gens du voyage ». 

Ces dernières semaines ont été marquées par un fait d’actualité comportant d’importantes conséquences pour les familles Voyageuses qui en sont victimes : l’incendie de l’usine Lubrizol à Rouen, un site classé « Seveso », et ses effets sur les habitants de l’aire d’accueil située à proximité. Ce genre de situation ne représente malheureusement pas un cas isolé. En effet, la société civile alerte depuis de nombreuses années les pouvoirs publics des dangers encourus par les Voyageurs occupant des aires et des terrains d’accueil situés sur des zones compromettant leur santé, sécurité et dignité. C’est d’ailleurs le cas en moment de l’aire d’accueil située à proximité de l’usine chimique Arkema à Marseille. Ces alertes n’ont cependant jamais été entendues puisque les pouvoirs publics n’y ont jusqu’à présent apporté aucune réponse.

C’est dans ce cadre que l’Observatoire des droits des citoyens itinérants a émis, au mois de mai dernier, une proposition d’amendement (cf. pièce jointe) à un projet de décret[1] qui a fait l’objet d’une consultation au niveau de la Commission nationale consultative des gens du voyage (CNCGV). Ce projet de décret est actuellement en discussion devant le Conseil d’Etat. Nous avions demandé à faire intégrer une disposition permettant d’interdire l’emplacement de terrains aménagés pour l’accueil des Voyageurs sur des zones pouvant porter atteinte à la santé, à la sécurité et à la dignité des occupants.

En réponse à l’un de nos courriels réitérant l’importance que revêt une telle disposition, le Président de la Commission nous a indiqué ne pas avoir retenu notre proposition d’amendement au motif que le droit commun suffit à proscrire l’aménagement de terrains sur des zones à risques. Le Président ajoute que la Commission n’ignore pas la situation et « sait parfaitement que de nombreuses aires sont installées dans des lieux peu propices à l’habitation pour ne pas dire plus ». Il poursuit, en indiquant qu’au regard de ce constat, la Commission s’est fixée comme objectifs d’une part de lister « quelques aires aujourd’hui ouvertes qui pourraient porter atteinte à la santé et la sécurité des occupants » et, d’autre part, d’alerter ensuite les différentes autorités en vue du déplacement de ces aires. Il précise par ailleurs que la liste des « quelques aires » sera dressée avec l’aide des associations de Voyageurs membres de la Commission.

La réponse apportée par la CNCGV nous semble insatisfaisante à plusieurs niveaux. Tout d’abord, le recensement de « quelques aires » n’est absolument pas suffisant au regard de l’ampleur du problème et de la gravité de ses conséquences sur les populations concernées. Il appartient à l’État de réaliser au plus vite ce recensement. Ce n’est ni à la CNCGV ni aux associations de Voyageurs de porter la responsabilité d’un tel travail. L’Etat a des obligations positives en vertu du droit national et international en ce qui concerne la mise en œuvre de moyens nécessaires pour garantir le droit à la santé, à la sécurité et à l’intégrité de sa population. Des mesures urgentes doivent ainsi être prises par l’Etat afin de faire cesser l’atteinte grave aux droits fondamentaux des citoyens itinérants relégués à des zones impropres à l’habitation humaine. Ces mesures devront faire l’objet d’une concertation avec les principaux concernés, au-delà des membres de la CNCGV.

Il n’est pas sans rappeler qu’historiquement, et jusqu’à très récemment, les populations nomades ne disposaient pas des mêmes droits civiques et politiques que le restant de la population. Il est aujourd’hui impératif que la politique actuelle ne s’effectue pas dans le prolongement de cette histoire empreinte de discriminations graves. Il est déterminant de ne pas continuer à reléguer les Voyageurs au rang de citoyens de seconde zone.

En guise de conclusion de ce courrier, notre Observatoire vous demande de bien vouloir prendre les engagements suivants :

  • Faire procéder par les services de l’État à un recensement immédiat de l’ensemble des terrains aménagés pour l’accueil des Voyageurs pouvant présenter des risques pour la santé, la sécurité et la dignité de ses habitants ;
  • Dans l’attente d’une délocalisation des terrains recensés, effectuer des propositions immédiates de relogement dans le plein respect du mode de vie des personnes concernées. Nul ne doit se trouver en France sur un terrain situé sur une zone à risques ;
  • Un travail en collaboration avec la CNCGV et le tissu associatif peut être réalisé, mais en aucun cas de telles tâches doivent leur être déléguées ; ces missions doivent incomber à l’Etat.
  • Le travail doit être réalisé en toute transparence, ce qui implique de rendre des comptes aux administrés ainsi qu’aux associations travaillant sur la question.

Afin d’échanger sur les points soulevés dans ce courrier, nous sollicitons un rendez-vous avec vous, ou un membre de votre cabinet en charge de ce sujet.

Dans l’attente de votre réponse, veuillez agréer, Monsieur le Ministre, notre haute considération.

Monsieur Renardo Lorier,

Président de l’Observatoire des droits des citoyens itinérants

Monsieur Nara Ritz,

Coordinateur de l’Observatoire des droits des citoyens itinérants

Pièce jointe :

Contribution écrite de l’ODCI à la Commission nationale consultative des gens du voyage au projet de décret sur l’aménagement des aires d’accueil et des terrains locatifs familiaux, datant du 15 mai 2019 ;


[1]                                     Projet de décret relatif aux aires permanentes d’accueil et aux terrains familiaux locatifs destinés aux gens du voyage et pris pour l’application de l’article 149 de la loi n° 2017-86 du 27 janvier 2017 relative à l’égalité et la citoyenneté.

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